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Interviews

Sourds et musique : est-ce possible?

Une étonnante discussion sur la musique et la surdité se développe entre un journaliste entendant et une mélomane sourde.

Jonas Schneiter et Viviane Bosson.

Jonas Schneiter: J’avoue que le thème de notre discussion m’a vraiment surpris. Nous allons donc parler musique.

Viviane Bosson: Mais, pourquoi étiez-vous surpris? Vous aviez quoi en tête?

Le jour où on m’a proposé cette rencontre, je suis aussi allé à l’opéra pour la première fois de ma vie. Je voyais les surtitres, j’apercevais les musiciens, je sentais la puissance de la musique pénétrer tout mon corps. Je me suis dit que, même si j’étais sourd, je ressentirais des émotions fortes dans ce contexte.

Tout à fait! On ressent, entre autres, les vibrations de la musique à condition que le sol soit en bois ou qu’il puisse vibrer. Si on se met proche de grosses enceintes aussi, on sent les ondes sonores entrer dans notre corps.

Dans quelles occasions est-ce que vous vous déplacez pour écouter de la musique?

Je suis allée à certains concerts qui ont été organisés spécialement pour les personnes sourdes. C’était génial, il y avait même un plancher vibrant spécialement prévu pour l’occasion. Je vais aussi parfois aux concerts signéés du Montreux Jazz Festival. Mais, il y en a encore trop peu qui sont prévus pour nous. C’est dommage!

Quelle est votre musique préférée?

A 23 ans, j’ai pris des cours de danse africaine avec des musiciens qui jouaient en live et j’ai adoré cela car on est près des instruments et on en ressent directement les vibrations!

Je ne comprends pas comment vous arrivez à être en rythme sans entendre la musique.

Dans la danse africaine, on est souvent face aux musiciens. J’observe les pas du prof et les gestes des musiciens. En tant que personne sourde, je suis parfois le changement de rythme encore mieux que les personnes entendantes, car mon corps ne repose que sur ce qu’il resent.

Vous m’avez dit avoir pratiqué le Djembé. Cela devait être quelque chose de vraiment particulier: il y avait enfin des gens qui vous entendaient!

Oui! Être la seule sourde dans un cours au Sénégal à qui le professeur ne fait pas répéter un exercice de Djembé parce que je suis la seule à avoir compris les changements de rythme… J’étais fière! Mais cela ne va pas avec toutes les musiques. J’adore par exemple voir les danseuses de flamenco, mais je ne peux pas le pratiquer car je n’entends pas la guitare.

Avant de terminer, j’ai une question. Par rapport aux idées que vous aviez avant de venir, est-ce qu’il y a quelque chose qui vous a surpris? 

Oui! Je ne pensais vraiment pas que vous étiez tant intéressée par la musique! J’admire votre passion pour un domaine qui vous est particulièrement difficile d’accès. Je connais tellement d’entendants qui n’ont aucun intérêt pour la musique alors que leurs oreilles seraient capables de discerner chaque nuance dans le jeu d’un guitariste. Je suis sidéré aussi par votre capacité à vivre la musique comme une expérience qui ne se limite pas aux sons!

En tant que personne sourde, je ressens parfois les changements de rythme encore mieux que les personnes entendantes.

Viviane Bosson

Publié le 23. mars 2021